Pour cette rentrée 2011, pas de grandes nouveautés : des profs en moins (16 000 !), des classes surchargées (37 élèves dans certains lycées et j’ai rencontré une élève d’un bahut privé, où ils étaient 43 en début d’année). Toujours des journées interminables de cours se succédant avec la logique d’un maître des forges. Toujours autant d’inégalités devant l’école. Dans ma SEGPA, classes pour enfants ayant des difficultés scolaires importantes et durables, on en est à 90%# d’enfants issus de PCS défavorisées. En lycée, dis moi la profession de papa et je te dis dans quelle section il se trouve ou presque : 50% d’élèves de PCS défavorisées en Bac pro comptabilité, 73% en Hygiène environnement. Dans le premier cas, galère garantie (on est aide-comptable avec bac + 2 de nos jours ) ; dans le second, le jeune aura la grande chance de faire du nettoyage dans les stations de tramway et de s’occuper des merdes d’entreprises polluantes. En classes prépas scientifiques, ne reste même pas 10% d’élèves issus de ces classes défavorisées#. Sur 100 enfants d’employés et d’ouvriers, seuls 39 ont eu accès à l’enseignement supérieur contre 53 pour l’ensemble de la population#. Sans parler de l’orientation des filles#…

Au chapitre des injustices sociales, l’école de la république ne propose aucune nouveauté, sauf bien sûr des “machins” d’excellence, des “conventions”, bref des trucs qui passent bien à la télévision. Mais les RASED#, c’est un truc de pédagogue ou de psy, plus besoin.

Blousons noirs à Sumer

Je pense que nous aurons droit cette année aux mêmes statistiques inquiétantes concernant la violence scolaire et les mêmes “Unes” journalistiques sur tel ou tel lycée touché par un fait divers sordide. Les jeunes seront donc cette année encore dangereux, encore plus dangereux sans doute. Montaigne en son temps se plaignait déjà de cette jeunesse corrompue, si différente de la sienne. J’avais trouvé dans le temps un texte sumérien# qui évoquait cette jeunesse de blousons noirs. C’était avant les statistiques oiseuses qui mélangent tout un tas de comportements, du plus anodin au plus grave. C’était avant le journal télévisé de 20 heures qui décrit la cour d’une école comme un coupe-gorge peuplée de harcelleurs ou de tordus de toutes sortes. Les adultes détestent les jeunes depuis que la jeunesse existe, faut croire. Ou c’est de la jalousie.

J’imagine que les flics continueront à faire des descentes dans les bahuts avec leurs chiens sous prétexte de drogue, à fouiller nos enfants, à les humilier#. Faut bien que ça rentre, la peur du gendarme. Les flics continueront à tirer ou à charger sur des lycéens en grève. Les militaires viendront faire leur marché en convoquant la grandeur de l’état militaire, AREVA ou EDF viendront faire leur pub sur la filière nucléaire, on parlera beaucoup de développement durable en ramassant les canettes d’aluminium autour du collège .

Les élèves éliront des délégués de classe, histoire d’apprendre la démocratie (cause toujours disait Coluche) et ceux-ci iront aux conseils de classe où se décidera sans eux, certains trimestres, l’ avenir des moins scolaires de leurs copains.

Le règne des compétences

Des élèves quitteront le système scolaire sans diplôme, à défaut d’avoir intégré quelques compétences absconses, écoeurés de sa violence, son injustice, son parti-pris ou parce que la vie est plus douce sans notes-sanctions-humiliations et sans réflexions déplacées de certains profs très compétents par ailleurs. On dira que ce sont les enfants d’immigrés qui arrêtent l’école et qu’avec moins d’étrangers dans les classes, il y aurait moins d’échec scolaire.

Un ministre quelconque et compétent aura une idée lumineuse pour améliorer le fonctionnement du système éducatif, le rendre plus humain, plus juste et plus moderne avec moins de monde. Il passera à la télé à chaque drame qu’on aurait pu éviter avec des caméras de surveillance, des portiques et des policiers dans la cour de récréation, dira t-il. On parlera même d’envoyer l’armée si ça va vraiment pas#….

On ne parlera plus que de compétences, plus du plaisir de la connaissance ou du désir d’apprendre. Un socle de compétence sur quoi bâtir le salariat de demain, avec sans vergogne aucune, l’obligation de valider des compétences qui sont de l’ordre de la personnalité, de la liberté de conscience, de la vie privée# !

Deux ans de plus…

Des directeurs continueront à boycotter la Base élève, des profs à refuser les heures supplémentaires. Avec RESF on continuera à assister et planquer des gamins qui ont la malchance d’être nés étrangers. On truquera des dossiers, on regardera ailleurs pour permettre à un gamin mal barré d’arriver à ce qu’il veut contre la violence naturelle de l’institution scolaire qui ne veut plus de lui. On continuera à informer les jeunes sur la réalité de l’apprentissage, pas que sur ses vertus. On fera du sabotage en fin de compte. On fera grève, si le coeur y est, des grèves sans lendemain, bien encadrées par le SNES, l’UNSA et le SGEN. Les syndicats feront leur retape de début d’année chez les nouveaux ; pour les précaires de la maison, ils leur conseilleront de passer le concours… Il y aura des collègues, comme Stéphane cette année, nommé pour un an à 500 km de chez lui, vivant dans une chambre chez une petite vieille, avec la crainte d’une mauvaise inspection de titularisation. Ou des collègues qui ne devront pas bosser plus de 200 heures, quitte à laisser leurs élèves dans la panade en partant en plein milieu d’année, à qui l’on conseillera de ne pas assister aux conseils de classe pour économiser leurs heures. Et qu’on jettera comme des malpropres dans la grande arène de la misère.

Putain, deux rentrées de plus à cause de cette saloperie sur les retraites avant de raccrocher. Ca serait bien une révolution avant…

Vincent

1 65% au niveau national.

2Sources : IPES (ministère de l’éducation nationale)

3 L’état de l’école, 2009, Ministère de l’éducation nationale
4 nous travaillons avec une copine là dessus : c’est la totale quand on va dans les détails ! A lire ici bientôt j’espère
5 Réseau d’aide et de soutien pour les enfants en difficulté, composé de psy scolaire, de maitres spécialisés, de rééducateurs.
6 Si quelqu’un le connaît, le surtitre était : “Des blousons noir à Sumer”
7 http://www.rue89.com/2010/05/20/dan…
8 Une idée de Ségolène Royal
9 Ils appellent ça les “compétences sociales”, autrement dit coopérer, respecter les règles, l’autorité, “apprendre à s’orienter”. On trouve ce livret de compétences sur le site du ministère de l’éducation nationale.