On a vu comment à deux ans des élections, les politiciens, relayés par la presse, se sont saisis du problème que leur pose l’utilisation du cannabis par plusieurs millions de personnes et le trafic net de taxes et d’impôts qu’entraîne sa consommation. Réponses pragmatiques des uns, réponses morales des autres, arguments fallacieux ou vérités approximatives, voilà le contenu du débat qu’on nous sert.
Mais la lecture de la tribune de P. Trannoy sur Marianne 2 (03/07/2011) a de quoi laisser pantois, tant elle concentre à elle seule à peu près toutes ces postures. Quand un spécialiste chevènementiste de la sécurité s’exprime sur le cannabis, ça donne un texte qui bien sûr renvoie le problème du cannabis au problème plus large de « l’avenir de notre jeunesse », de « générations désemparées ». Soit. Mais l’auteur est d’avis que s’il y avait plus de flics dans les rues, plus de centres éducatifs fermés, plus de sanctions judiciaires « graduées », ça irait mieux. Et du constat qu’il y a 60% de chômeurs dans certaines banlieues, il en déduit que le trafic ne cessera pas tant…qu’on gagnera mieux sa vie en dealant qu’en travaillant1 ! Le dealer c’est donc le fainéant qui gagne plein de sous et qui est responsable de tout ce chômage parce que tout le monde deale en cité au lieu d’aller turbiner… J’ai bien compris ?

C’est sur la base de ce type de raisonnement pas très cartésien et elliptique, qu’il se permet de renvoyer dos à dos les partisans de la légalisation-dépénalisation et les adeptes de l’interdiction. C’est prudent de sa part : à raisonner aussi bêtement qu’il le fait, c’est dur d’arriver à une conclusion…Alors il se contente de faire ressentir sa position prohibitionniste, faute d’argument valable pour la défendre.
On trouve d’autres exemples de cette bêtise qu’on peut lire, non seulement dans cet article mais dans la plupart des productions de leur presse dés qu’il s’agit de drogue. Tout d’abord, il affirme que la « dangerosité du cannabis est avérée » au niveau neurologique2. Par qui ? Le rapport de l’INSERM ? Pour l’avoir lu au-delà des résumés qui achèvent chacun de ses chapitres, je peux dire qu’il dit tout et son contraire3. Il est par contre certain que globalement, au regard du volume de sa consommation, des risques médicaux qu’il peut faire encourir, sa dangerosité avérée est sans commune mesure avec celle de l’alcool, de la mal-bouffe ou de la voiture4 ! Si l’on parle de l’usage « problématique5 » des drogues, le risque est moindre pour un consommateur de cannabis que pour un buveur même raisonnable d’alcool et est pratiquement systématique chez les fumeurs de tabac.

En ce qui concerne les hypothèses concernant les conséquences de la légalisation du cannabis, le voilà un instant prudent : rien ne démontre que ça ferait diminuer la consommation, écrit-il. Il oublie de dire que rien non plus ne permet de dire que ça la ferait augmenter ou stagner. C’est vrai, on n’en sait rien, donc quel intérêt de l’écrire ? Peut être pour n’avoir pas à citer les chiffres de pays comme les Pays-Bas ou le Portugal où la dépénalisation est la règle. Ça ferait mauvais effet et ne cadrerait pas avec son message. Ça ferait aussi mauvais effet de parler de la période prohibitionniste des USA et de comment ça s’est fini, un 5 décembre…

Puis notre spécialiste reconnaît aussi que « quant à ce que feront les dealers, on n’en sait pas plus ». Mais il imagine forcément qu’ils vendront autre chose, comme de la coke, des ecstas…C’est déjà le cas pour certains, je le rassure. Mais comment dans un même mouvement exprimer son ignorance pour ensuite en tirer des hypothèses ? C’est peut-être vrai que les dealers ne seront pas prêts à renoncer à leur BMW6 (ni à leur scooter), ou au caïdat. Et son thème le plus cher, celui du trafiquant qui gagne mieux sa vie en vendant de la drogue qu’en travaillant (et donc est un voyou, un fainéant, un profiteur) nous est resservi. La responsabilité d’une société qui crée du chômage, de la misère, de la précarité, qui offre des salaires au rabais et mate les miséreux à coup de descentes de police ou de couvre-feu, non, c’est pas elle qui permet la mise en place de cette économie « parallèle ». Une économie plus efficiente que l’officielle d’ailleurs dans nos banlieues, et qui permet à certains de se payer le permis, le scooter (parce qu’à la maison on est tous au RSA ou en intérim), et qui permet à d’autres une reconnaissance sociale qu’on leur refusera toujours en dehors des quatre tours de leur bout de cité. Quant au consommateur, un jeune semble t-il sous-entendre (ça me fait plaisir), c’est en lui proposant un autre avenir économique, social, de gôche quoi (mais avec des plein de flics) qu’il se détournera de la drogue et mettra naturellement en faillite les méchants dealers. Ça, il le sait. Ce que c’est que d’être expert…Chapeau M. Tronnoy, diplômé de l’institut national des hautes études de sécurité (si si ça existe depuis 20 ans ce truc !).
En se servant de certains de ses non-arguments, on peut se dire qu’il y a une solution bien meilleure à proposer à nos con-citoyens que celle de la dépénalisation du cannabis : celle de la légalisation de toutes les drogues, du thé vert à l’héroïne. Comme il n’en sait rien de ce que feront les dealers mais qu’ils vendront sans doute de la coke ou des extas si on va acheter son herbe chez le buraliste, autant tout légaliser et peut-être se mettront-ils, ces voyous, à dealer des légumes bios à bon prix !

Un pareil débat poudre-aux-yeux présente toujours des oublis volontaires. Ainsi, les risques en termes de santé mentale qui menacent les dealers sont absolument évacués du débat alors qu’ils sont réels7. Sans compter le risque social de se retrouver au gnouf ou victime d’embrouilles parfois sérieuses. Mais en présentant le dealer sous la seule optique du banditisme et en éludant le fait que sa participation à une activité -peut-être malsaine- est induite par une société de consommation et de précarité, on dédouane le capitalisme et l’état de toute responsabilité. On transforme pour mieux l’étouffer un problème économique, celui du salariat et de ses corollaires, pauvreté, chômage, précarité en un problème politique minable, le trafic et la consommation de cannabis ! Dès lors, on n’y répond plus, comme d’habitude, que par la loi, généreuse ou oppressive, les experts auto -proclamés et les flics.
J’ai entendu et lu qu’il n’y avait pas de société sans drogue8. Chez nous, les seules drogues autorisées sont celles de nos alcooliers et tabaculteurs. Deux drogues aux effets néfastes bien documentés maintenant, mais deux produits du « terroir », ou en tout cas issus des entreprises capitalistes de notre occident démocratique et chrétien. En Franchouillardie, on a ainsi la chance d’avoir Pernod-Ricard (2ème alcoolier mondial) qui se fait plein de thunes et nous fait plein de cirrhoses.
Dans la proposition de légalisation du cannabis d’un mec du PS, un petit alinéa attire l’attention : la création d’une régie d’état chargée de la production (dans les DOM-TOM) et de la distribution du cannabis. Plein de fric à se faire ! Puis comme pour la SEITA ou Renault, une régie d’état ça devient après de superbes entreprises privées cotées en bourse ; un marché de plus pour pressurer le populo et faire plein de profits. Non, notre santé, notre bien-être, ils s’en foutent, soyons rassurés. Eux c’est le pognon, comme les dealers. Bon, j’ai fini ; tu fais tourner le joint ?