Le poème qui suit a été écrit en 1924 par Jean Zay…Aujourd’hui, il vaudrait à son auteur amende et prison, pour injure au drapeau français. Mais à l’époque, après la première guerre mondiale, son auteur ne faisait qu’écrire le ressentiment de bien des français après cette immonde boucherie. Nombreux étaient ceux qui pouvaient dire comme cet honnête catholique : « on croit mourir pour la patrie et on meurt pour des industriels ! ». De l’autre côté du Rhin, les mêmes victimes apprenaient que leurs camarades étaient morts sur des barbelés bien de chez eux qu’avait acheté la France ! Alors, au moment, où l’on nous la joue patriotisme et nationalité, à l’heure du souvenir de l’ignoble boucherie que fut la première guerre mondiale, ça fait du bien de lire, de clamer, de hurler ce poème.
(Son auteur, de surcroît, a fini ministre de l’éducation sous le front populaire…On doit être couvert pour la publication, non ?)

Ils sont quinze cent mille qui sont morts pour cette saloperie-là.

Quinze cent mille dans mon pays, Quinze millions dans tout les pays.

Quinze cent mille morts, mon Dieu !

Quinze cent mille hommes morts pour cette saloperie tricolore…

Quinze cent mille dont chacun avait une mère, une maîtresse,

Des enfants, une maison, une vie un espoir, un cœur…

Qu’est ce que c’est que cette loque pour laquelle ils sont morts ?

Quinze cent mille morts, mon Dieu !

Quinze cent mille morts pour cette saloperie.

Quinze cent mille éventrés, déchiquetés,

Anéantis dans le fumier d’un champ de bataille,

Quinze cent mille qui n’entendront plus JAMAIS,

Que leurs amours ne reverront plus JAMAIS.

Quinze cent mille pourris dans quelques cimetières

Sans planches et sans prières…

Est-ce que vous ne voyez pas comme ils étaient beaux, résolus, heureux

De vivre, comme leurs regards brillaient, comme leurs femmes les aimaient ?

Ils ne sont plus que des pourritures…

Pour cette immonde petite guenille !
Terrible morceau de drap coulé à ta hampe, je te hais férocement,

Oui, je te hais dans l’âme, je te hais pour toutes les misères que tu représentes

Pour le sang frais, le sang humain aux odeurs âpres qui gicle sous tes plis

Je te hais au nom des squelettes… Ils étaient Quinze cent mille

Je te hais pour tous ceux qui te saluent,

Je te hais a cause des peigne-culs, des couillons, des putains,
Qui traînent dans la boue leur chapeau devant ton ombre,

Je hais en toi toute la vieille oppression séculaire, le dieu bestial,

Le défi aux hommes que nous ne savons pas être.

Je hais tes sales couleurs, le rouge de leur sang, le sang bleu que tu voles au ciel,

Le blanc livide de tes remords.

Laisse-moi, ignoble symbole, pleurer tout seul, pleurer à grand coup

Les quinze cent mille jeunes hommes qui sont morts.

Et n’oublie pas, malgré tes généraux, ton fer doré et tes victoires,

Que tu es pour moi de la race vile des torche-culs.

Jean Zay, 1924.