Article écrit par un militant de Bordeaux et paru dans le Combat Syndicaliste n°230 – novembre/décembre 2010.


J’ai posé la question sur le facebook du SNAC* de son positionnement par rapport à la réforme des retraites. Mal m’en a pris. J’ai eu droit à une belle tartine d’un mec (salarié, et non adhérent au SNAC au demeurant) venu m’expliquer en substance que ça n’intéresse pas les auteurs, puisque ceux ci n’auront droit qu’à une retraite ridicule dans le meilleur des cas, et que la plupart du temps « ils n’arrêtent pas parce que c’est un métier-passion »(*).

Et que le SNAC est trop occupé avec les questions sur le droit numérique. Soit. La question du numérique est une question importante, mais j’aimerais qu’on m’explique en quoi je ne suis pas concernée par la question des retraites, ou des grandes questions sociales de ce pays.

Au risque de rabâcher, je rappelle que le métier d’auteur de BD, et artiste en général, est bien peu connu, et reconnu. Parce que les gens sont mal informés sur ce métier, parce que les clichés ont la peau dure, parce que les artistes sont en marge, du fait de leur volonté ou non. Et je crois qu’il est justement important de ne pas se mettre davantage en marge en ne nous prononçant pas sur ces questions.

Et puis merde ! parce que ces questions nous concernent aussi ! Je suis artiste. Je travaille, je cotise, je consomme, je participe à la vie comme tout un chacun, je ne suis pas un électron libre, je ne suis pas en dehors de cette société. J’y participe au même titre que l’employé de bureau ou l’ouvrier. Je mange, je chie, je dors, je travaille, je ne suis pas martienne. Et il faudrait que je ne m’intéresse pas à la politique par ce que je suis artiste, sans doute évaporée, peu attentive aux vraies questions, puisque je fais des petits mickeys. C’est un raisonnement naïf, et très dangereux. Je m’intéresse à la réforme des retraites parce que je vis dans cette société qui retire un à un tous les droits aux travailleurs, et que la situation des artistes étant la pire (sic un employé de l’ANPE, c’est pas moi qui le dis), je sais déjà à quoi les gens vont avoir droit si ils ne se battent pas. Je ne le souhaite à personne. Et que -plus égoïstement- si on s’attaque à ces droits des salariés, que va t-il advenir de nous ? Comment revendiquer plus de droits quand ceux des autres sont piétinés ?

La solidarité s’effiloche, à en croire le message de mon contradicteur. Lui, salarié, ne comprend pas que moi, artiste, je m’intéresse à ses droits ! Là j’en reste comme deux ronds de flan. C’est très mal barré, au moment où les gens devraient se serrer les coudes, ils en viennent à t’expliquer que tu devrais fermer ta gueule quand tu prends leur défense. Peut-on être aussi aveuglément corporatiste au point de couper ses propres soutiens ? Ça me rend triste, de lire des messages pareils. Ça me révolte que cette politique de division porte ses fruits, bien gros, bien mûrs, au point que les gens en viennent à se couper eux mêmes l’herbe sous le pied.

Ça me parait aberrant de vouloir s’écarter des débats de société, les artistes en sont aussi les acteurs, qui y réfléchissent, qui en ont une expérience différente. Cette différence justement pourrait apporter de l’eau au moulin, l’artiste pourrait parler de son non-droit, de sa situation plus que précaire, pour donner aux salariés l’idée de ce que leur avenir sera si ils ne luttent pas pour leurs
droits. Ce n’est pas parce que c’est déjà la merde pour nous qu’il faut se désintéresser de la merde des salariés. Parce que la défense de leurs droits, c’est aussi la défense des nôtres.

*Syndicat Nation des Auteurs et Compositeurs